Culture d'entreprise "Fun and pro" : Que peut imposer l'employeur ?

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Par Laurie GOMARI 08 décembre 2022
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Respect, engagement, esprit d'équipe, image, force d'adaptation à l'environnement : la notion de culture d'entreprise correspond à un ensemble de valeurs fondamentales qui définit l'identité d'une entreprise. Cette notion a récemment fait l'objet d'une décision rendue en novembre 2022 (1), permettant de préciser ce qui est possible d'imposer ou non en tant qu'employeur concernant la politique de l'entreprise.

       

C'est quoi la culture de l'entreprise ?

La culture d'entreprise peut s'exprimer de différentes façons au sein d'une entreprise selon les valeurs qu'elle souhaite défendre. En effet, la culture d'entreprise représente un ensemble d'éléments qui définit et représente l'entreprise sur des notions telles que :

  • La vision de l'entreprise ;

Il s'agit ici de la façon dont l'entreprise se voit dans le futur. La vision d'entreprise doit être cohérente, claire et ambitieuse pour susciter une réelle envie de partage et de collaboration avec les autres salariés. En définitive la vision d'entreprise permet d'obtenir une image de l'entreprise sur le long terme.

  • L'histoire de l'entreprise ;

L'histoire de l'entreprise repose en principe sur un produit phare, des fondateurs inspirants et charismatiques, permettant de mettre en avant le succès de l'entreprise. En somme, les débuts d'une entreprise et son vécu doivent permettre de développer l'idée de réussite et de légende.

  • Les valeurs communes ;

Les valeurs communes d'une entreprise représentent tous les principes sur lesquels se base une entreprise pour mener à bien son évolution. Cela peut notamment correspondre à la fois aux projets, au sens du travail, à l'esprit d'équipe, à la loyauté envers les clients ou encore à l'implication personnelle. En somme, les valeurs d'entreprise constituent un levier essentiel pour obtenir une ligne directrice et une évolution stable de l'entreprise. Des valeurs communes partagées par les salariés leur permettent d'adhérer plus facilement au management pratiqué par l'entreprise.

  • La fidélisation des salariés ;

Enfin, lorsqu'il est question de culture d'entreprise, la fidélisation des collaborateurs entre aussi en jeu. En effet, il est important pour l'employeur de fédérer les salariés autour de valeurs communes. Plusieurs actions pourront être mises en œuvre telles que : des séminaires, des programmes d'intégration, des séances de team building, des after-work, etc. Ces actions permettent de renforcer le sentiment d'appartenance. La fidélisation des salariés passe aussi par d'autres éléments qui touchent à la rémunération (augmentations salariales, octroi de primes etc.).

 

Quel est le but de la culture d'entreprise ?

La cohésion sociale

L'objectif premier de la culture d'entreprise est de renforcer les liens entre les salariés et de contribuer à l'évolution de l'entreprise. La culture d'entreprise permet de renforcer le partage de valeurs communes, d'accentuer la cohésion et la fidélisation des salariés et donc de retenir les talents.

L'intégration des salariés

En plus de ces avantages, la mise en œuvre d'une culture d'entreprise veillant à une bonne intégration des nouveaux collaborateurs est un réel avantage sur le long terme. Les nouveaux salariés se sentiront très vite autonomes et impliqués dans leur travail et à la vie de l'entreprise. La culture d'entreprise permet aussi d'adapter le management au fonctionnement de l'entreprise.

L'image de l'entreprise

Une bonne image de l'entreprise pourra ainsi être véhiculée en dehors du seul périmètre de l'entreprise elle-même. Cette notion est donc une condition nécessaire à la marque employeur et donc au succès de l'entreprise. A titre d'exemple, une tenue vestimentaire imposée par l'entreprise peut participer à véhiculer l'image de l'entreprise et se démarquer des concurrents.

Il est nécessaire de préciser que la culture de l'entreprise doit se limiter à des valeurs d'entreprise et des pratiques managériales, elle ne peut pas porter atteinte à une liberté fondamentale.

 
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Quels sont les nouveaux éléments apportés par la jurisprudence en 2022 sur la culture d'entreprise ?

Lorsque la culture d'entreprise interfère sur la liberté d'expression et d'opinion

Le principe est tel qu'un salarié bénéficie d'une liberté d'expression au sein de l'entreprise et en dehors, excepté s'il est question d'abus.

De nouvelles précisions sur la culture d'entreprise et la liberté d'expression ont été apportées par la Cour de cassation en novembre 2022. En effet, dans cette affaire un employeur reprochait à son salarié son absence d'intégration et de partage des valeurs "fun and pro" mises en avant par l'entreprise.

En résumé, les valeurs "fun and pro" de cette entreprise se traduisaient par le fait de devoir participer aux séminaires ainsi qu'aux pots de fin de semaine qui impliquaient très souvent une consommation d'alcool excessive. Ces pratiques étaient par ailleurs encouragées par les associés de l'entreprise, dans la mesure où ces derniers mettaient à disposition des salariés des quantités d'alcool importantes. En plus de l'alcool excessif (culture de l'apéro) dominant lors de ces séminaires et pots, les associés encourageaient les brimades, la promiscuité et incitaient à différentes dérives et excès.

C'est dans ce cadre que le salarié n'a pas souhaité continuer à accepter la politique de l'entreprise et toutes ces valeurs dites "fun and pro". Ce dernier s'est donc vu licencié pour insuffisance professionnelle.

Dans un tel contexte, la Cour d'appel a malgré tout considéré que le licenciement du salarié était justifié par son comportement et son refus de se conformer aux modalités de fonctionnement reposant sur des équipe de petite taille. La Cour d'appel a donc considéré qu'il n'y avait aucune remis en cause des opinions personnelles du salarié.

La Cour de cassation a su prendre la relève en considérant que le licenciement était en partie fondée sur le refus du salarié d'adopter la politique de l'entreprise basée sur ces valeurs "fun and pro" et les divers excès et dérapages liés. Les juges ont donc considéré que le licenciement du salarié était nul et que le refus du salarié d'accepter ces valeurs "fun and pro" participait à sa liberté d'expression et d'opinion.

Gare à certaines pratiques managériales !

Le code du travail (2) précise bien que les opinions des salariés dans le cadre de l'exercice de leur droit d'expression, peu important leur positionnement dans l'entreprise, ne peut pas motiver une sanction ou un licenciement.

Ne pas veiller au respect des opinions personnelles et à la liberté d'expression de certains salariés lors d'évènements, en soulignant l'importance de valeurs pour le moins discutables, est sanctionné par la loi.

L'affaire du novembre 2022 aura coûté plus de 460 000 euros à l'entreprise à titre d'indemnité pour le salarié. Il a aussi été demandé à l'entreprise de procéder à la réintégration du salarié à son poste de travail.

En définitive, le fait pour une entreprise de reprocher à un salarié un manque d'adhésion aux valeurs premières, et en définitive, à la culture de l'entreprise, peut être problématique lorsque ces valeurs sont fortement controversées.

 

Sources :

(1) : Cass ; soc ; 9 novembre 2022, n° 21-15.208

(2): Article L.2281-3 du Code du travail

 

Photo : Freepik