La Cour de cassation considérait autrefois que la majorité des manquements de l'employeur à ses obligations causaient nécessairement un préjudice au salarié et devaient, de ce fait, ouvrir droit à réparation.
Les juges sont revenus sur leur jurisprudence en 2016 (1), considérant qu'il appartenait finalement au salarié de justifier l'existence du préjudice qu'il aurait subi.
Néanmoins, depuis 2022, la Cour admet, de nouveau, certains manquements de l'employeur pouvant entraîner une réparation automatique du préjudice subi par le salarié.
Par deux arrêts en date du 4 septembre 2024, la chambre sociale vient consacrer trois nouveaux cas de préjudice nécessaire.
Qu'est-ce qu'un préjudice nécessaire en droit du travail ?
L'admission initiale du préjudice nécessaire
Il a longtemps été admis que la plupart des manquements de l'employeur causaient nécessairement un préjudice au salarié. En conséquence, ce dernier pouvait solliciter le versement de dommages-intérêts sans pour autant devoir prouver ledit manquement.
Pour exemple, il a été jugé en 1998 que l'absence de remise ou la remise tardive des documents de fin de contrat entraînait nécessairement une réparation indemnitaire pour le salarié (2).
L'abandon du principe du préjudice nécessaire
A première vue, une telle solution apparaît particulièrement avantageuse pour les salariés, souvent impactés par les manquements de leur employeur. Toutefois, elle ne semble pas toujours justifiée au regard du préjudice réellement subi en l'espèce.
La chambre sociale décide alors en 2016 d'abandonner sa théorie du préjudice nécessaire. Elle prévoit ainsi une appréciation au cas par cas, imposant donc au salarié de rapporter la preuve du préjudice dont il s'estime victime.
Pour autant, les juges vont peu à peu admettre quelques exceptions à ce nouveau principe.
Quels sont les nouveaux cas de préjudice nécessaire ?
Le non-respect du temps de pause quotidien
Par un premier arrêt en date du 4 septembre 2024, la Cour de cassation considère que le seul constat du non-respect du temps de pause quotidien ouvre droit à réparation pour le salarié (3).
Dans cette affaire, une salariée sollicite une réparation indemnitaire, considérant que son employeur ne lui permettait pas de bénéficier d'un temps de pause quotidien. En effet, le Code du travail prévoit pourtant une pause de 20 minutes consécutives toutes les 6 heures de travail (4).
Les juges du fond rejettent, en premier lieu, la demande de dommages-intérêts aux motifs que la salariée ne s'est jamais plainte de l'absence de temps de pause et que l'intégralité de ses heures de travail ont bien été payées. Le préjudice ne semble donc pas avoir été démontré.
Pour autant, la Haute juridiction fonde son interprétation sur les dispositions du Code du travail et plus particulièrement sur la législation européenne (5). Elle admet finalement que le non-respect du temps de pause quotidien constitue nécessairement un préjudice au salarié et doit, de ce fait, entraîner une réparation.
Le travail pendant un arrêt maladie
A l'occasion du premier arrêt rendu le 4 septembre 2024, la Cour de cassation admet que le seul constat de la violation de l'interdiction d'emploi durant un arrêt maladie ouvre automatiquement droit à réparation.
Dans cette même affaire, la salariée reproche à son employeur de l'avoir fait travailler à trois reprises durant son arrêt maladie. Elle estime donc que celui-ci a manqué à son obligation de sécurité et doit, de fait, lui verser des dommages-intérêts.
De nouveau, la cour d'appel reconnaît le manquement de l'employeur mais juge que la salariée ne démontre aucun préjudice subi à cette occasion.
La chambre sociale se fonde sur les dispositions légales en vigueur (6) et sur la directive européenne du 12 juin 1989 (7) pour rendre une solution différente. Elle rappelle en effet que l'employeur est tenu d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés au titre de son obligation de sécurité.
Conséquemment, elle juge que le fait de faire travailler un salarié en arrêt maladie lui cause nécessairement un préjudice qui doit ainsi faire l'objet d'une indemnisation.
Le travail pendant un congé maternité
Dans le même esprit, par un second arrêt rendu le 4 septembre 2024, la Cour de cassation juge que le seul constat de la violation de la suspension du travail pendant le congé maternité constitue un préjudice nécessaire (8).
Dans cette affaire, une salariée affirme que son employeur l'a fait travailler durant son congé maternité. Elle constate alors une violation manifeste de son droit à congé et souhaite obtenir réparation.
La cour d'appel se retrouve face à la même difficulté selon laquelle le préjudice subi n'a pas été prouvé. Elle rejette donc la possibilité d'accorder une réparation indemnitaire à la salariée.
Les conseillers rendent finalement leur décision sur le fondement des dispositions du Code du travail (9) et de la législation européenne (10). Ils jugent en effet que l'employeur est tenu de respecter la suspension de toute prestation de travail pendant le congé maternité.
En ce sens, tout manquement à cette dernière obligation entraine la réparation automatique du préjudice qui en découle pour la salariée.
Qu'en est-il de l'absence de visite médicale à l'issue d'un congé maternité ?
A l'occasion de l'arrêt précité, une seconde problématique a été mise en lumière. En effet, la salariée reprochait également à son employeur d'avoir manqué à son obligation d'organiser une visité médicale consécutive à son congé maternité.
Pour autant, cette fois, les juges du droit vont s'aligner sur la position des juges du fond et rejeter la demande de dommages-intérêt de la salariée. Ils approuvent en effet les manquements de l'employeur. Toutefois, la salariée ne démontre pas de préjudice en découlant.
Dans ce cas précis, la Cour de cassation se fonde sur la directive européenne du 12 juin 1989 qui prévoit que « chaque travailleur doit pouvoir faire l'objet, s'il le souhaite, d'une surveillance de santé à intervalles réguliers », mais également que « la surveillance de santé peut faire partie d'un système national de santé ».
De fait, la Cour juge que la directive n'offre pas « au salarié des droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical ». Cela implique ainsi pour la salariée de démontrer l'existence du préjudice qu'elle a subi en raison du défaut de visite médical faisant suite à son congé maternité.
Une telle solution peut paraître surprenante au regard des décisions précédemment étudiées. Rien n'empêche toutefois les juges de reconsidérer leur position à l'avenir.
Quelles sont les conséquences d'un élargissement du champ des préjudices nécessaires ?
La Cour de cassation reconnaît, depuis 2022, de plus en plus de préjudices ouvrant droit à une réparation automatique. Cela concerne principalement la violation des dispositions d'une directive européenne.
Tel est notamment le cas du non-respect des durées maximales de travail :
- Hebdomadaire (11) ;
- Quotidien (12) :
- Hebdomadaire de nuit (13).
Plus récemment encore, le non-respect du droit au repos quotidien conventionnel a été reconnu comme ouvrant droit à une réparation automatique (14).
La reconnaissance accrue des préjudices nécessaires apparaît comme étant particulièrement favorable aux salariés. En effet, ces derniers pourront certainement constater une meilleure protection de leur droit à la santé et à la sécurité.
En revanche, il incombe aux employeurs d'être particulièrement vigilants quant au respect de leur obligation de sécurité envers leurs salariés qui, selon les cas, ne seront plus contraints de rapporter la preuve du préjudice qu'ils ont subi.
Sources :
- (1) Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293
- (2) Cass. Soc. 19 mai 1998, n° 97-41814
- (3) Cass. Soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944
- (4) Article L. 3121-16 du Code du travail
- (5) Article 4 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003
- (6) Articles L. 4121-1 à L.4121-5 du Code du travail
- (7) Articles 5 et 6 de la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989
- (8) Cass. Soc., 4 septembre 2024, n° 22-16.129
- (9) Article L. 1225-17 du Code du travail
- (10) Article 8 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992
- (11) Cass. Soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636
- (12) Cass. Soc., 11 mai 2023, n° 21-22.281
- (13) Cass. Soc., 27 septembre 2023, n° 21-24.782
- (14) Cass. Soc., 7 février 2024, n°21-22.809
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